« Mon pire ennemi, c'est le froid. »

Enquête : L'impact du Festival de Cannes sur les dates de sortie des films

Business | Par Gustave Shaïmi | Le 6 juin 2013 à 12h06

Chaque année en mai quelques uns des meilleurs films de l'année sont présentés à Cannes à une poignée d'heureux festivaliers. Pour le public, en dehors des rapides reprises parisiennes et de quelques sorties simultanées, il faut en général être patient. Quels sont les effets du Festival sur la distribution des films ? Pourquoi certains films sortent-ils à l'automne, d'autres un an après et certains jamais...

L'enjeu principal pour les distributeurs est évidemment le choix de la date de sortie la plus appropriée pour leurs films. « C'est l'un des exercices les plus périlleux », nous confie Philippe Kaempf, Directeur de la distribution chez Europacorp. La question du timing est épineuse, chaque saison comportant ses avantages et ses inconvénients. Afin de mieux comprendre la stratégie des distributeurs, nous avons enquêté auprès des principaux intéressés.

La sortie pendant le Festival : opportunités et risques

Voilà plusieurs années que le film d'ouverture du Festival de Cannes (Robin des Bois en 2010, Minuit à Paris en 2011, Moonrise Kingdom en 2012 et Gatsby le Magnifique cette année) sort le jour même de sa présentation. La chose s'explique bien : le choix de l'oeuvre retenue est dévoilé plusieurs mois à l'avance. Pour ce qui est de tous les autres films, organiser une sortie dans la foulée de la présentation sur la Croisette est une toute autre affaire. Cela suppose tout d'abord que le film ait été fini suffisamment en amont pour laisser le temps au distributeur d'organiser la sortie, de réunir le matériel de promotion (affiches, bande-annonce, etc.) et parfois de l'avoir montré à quelques critiques et exploitants triés sur le volet en amont du festival - ce qui n'est pas toujours du goût de la direction de celui-ci. Récemment, les échecs relatifs en salles de La Conquête et Sur La Route semblent être largement liés à un accueil cannois glacial. Ainsi, les distributeurs ne semblent prendre le risque de la sortie immédiate en salles que lorsqu'ils sont absolument confiants dans le potentiel des films en question. Selon Boris Pugnet du Pacte, seuls les films signés par des cinéastes réputés peuvent affronter une sortie pendant le festival. Philippe Kaempf explique, au sujet de The Tree of Life : « On a décidé de profiter de l'événement que constituait la venue de Terrence Malick à Cannes, attendue depuis un an, et de la présence de Brad Pitt et Sean Penn en tête d'affiche pour sortir le film tout de suite. On était engagé sur le projet depuis quatre ans et confiant, donc on y est allé. »

Le très attendu Only God forgives est sorti en France le jour de sa présentation à Cannes

Plus le cinéaste et/ou les acteurs principaux sont attendus au tournant, plus la sortie pendant le festival semble aller de soi. Emma Blunden de Diaphana dit avoir été plutôt sereine elle aussi lors de la sortie du Gamin au Vélo la même année : « Les frères Dardenne ne sont pas vraiment des premiers venus à Cannes, et Cécile de France est une actrice appréciée du public. Dans un cas pareil, il est clairement à notre avantage de profiter du contexte du festival pour sortir le film en salles. » De même, « Lorsque l'on sort un film simultanément à sa présentation à Cannes, il doit être très attendu en amont, le festival doit être un pic de notoriété, pas une rampe de lancement. » précise Michèle Halberstadt d'ARP Sélection. Pour des oeuvres plus difficiles, tels qu'Antichrist de Lars Von Trier, une sortie dans la foulée du festival peut pâtir de certains dommages collatéraux. Régine Vial des Films du Losange explique : « Le problème de ce film, c'est que les gens en avaient peur. Je me demande si on aurait fait plus d'entrées si l'on avait attendu l'automne pour le sortir et laissé ainsi les échos de Cannes diminuer en intensité. Je me demande même si le passage a Cannes, tout en ayant donné de la notoriété au film avec le Prix d'interprétation remporté par Charlotte Gainsbourg, n'a pas nui à sa carrière en salles. A Cannes, tout est amplifié, y compris le fait qu'un film dérange... »

L'embouteillage d'automne

On a souvent l'impression que les mois de septembre à décembre sont une période de rattrapage à grande échelle du dernier Festival de Cannes. Les sorties des films cannois y sont plus nombreuses qu'à aucune autre période. Régine Vial des Films du Losange nous explique que les vacances de la Toussaint font des mercredis d'octobre et de début novembre des jours de sortie très porteurs et sécurisants pour les distributeurs. Elle ajoute que certains films tels qu'Amour de Michael Haneke, de par leur sujet difficile, ne lui paraissent pas se prêter à une sortie plus en amont. Quant aux derniers mois de l'année, on préfère les éviter aux Films du Losange : « Mon pire ennemi, c'est le froid. Les gens sortent moins de chez eux pour venir en salles », explique Mme Vial. Résultat : l'embouteillage des films est tel en octobre-novembre que la période peut être "meurtrière" selon Roxane Arnold de Pyramide Distribution. « C'est une période très compétitive, renchérit Philippe Kaempf d'Europacorp. Il faut être premier, deuxième ou troisième choix du moment. Au-delà, c'est presque fichu. » Aucun distributeur ne nie le fait que les très nombreuses sorties de ce moment de l'année tendent à réduire l'exposition de chaque film. Mais fixer une date de sortie à ce moment-là peut parfois être inévitable : un temps de préparation non-négligeable est nécessaire à la distribution des films qui ont été finis tout juste à temps pour être présentés à Cannes. Ce fut souvent le cas pour Anne-Cécile Rolland de Pretty Pictures, qui distribuait La Chasse en novembre 2012 et sort deux films d'Un Certain Regard cette année (Omar le 16 octobre et La Jaula de Oro en novembre). Impossible, dès lors, de préparer dans les temps une distribution printanière ou estivale, tout en gardant à l'esprit le fait que l'attrait lié au passage à Cannes ne doit pas retomber.

Marion Cotillard et Joaquin Phoenix, attendus dans The Immigrant de James Gray

Buzz cannois, renommée des têtes d'affiche et/ou du réalisateur imposent certaines oeuvres comme les plus attendues de cette "rentrée des auteurs". Cette année, c'est Wild Bunch qui a décroché le gros lot puisque la société de Vincent Maraval distribue la Palme d'Or La Vie d'Adèle d'Abdellatif Kechiche le 9 octobre et The Immigrant de James Gray, avec les stars Marion Cotillard et Joaquin Phoenix, le 29 novembre. Qui peut résister à la Palme d'Or dans un pareil contexte de surcharge de l'agenda cinéma ? Les distributeurs en parlent d'eux-mêmes comme d'un bulldozer qui met en danger tout film dont la sortie serait un peu trop proche dans le temps de celle du film de Kechiche. Ad Vitam, qui programmait Un Château en Italie de Valeria Bruni-Tedeschi le 2 octobre, en a ainsi repoussé la sortie de quelques semaines, bien conscient que le label cannois suprême fera sortir gagnant le film de Kechiche de l'affrontement entre films d'auteurs en octobre. Roxane Arnold de Pyramide Distribution le dit clairement : le choix d'une date de sortie dans cette période peut être "horrible". A mesure que les distributeurs organisent leurs plans pour la saison suite au Festival de Cannes, l'agenda de l'automne se charge en sorties de films d'auteurs attendus, sans parler des superproductions hollywoodiennes dont c'est également une saison de prédilection. L'angoisse d'un étouffement des films par trop d'autres visant le même public est réelle. La notoriété acquise par les films à Cannes peut leur donner un plus, mais qu'en est-il lorsqu'ils sont nombreux à sortir à la même période avec le même "label Cannes" ? Tout le travail des distributeurs entre la présentation au festival et la sortie nationale vise précisément à décupler l'attente suscitée par leurs films.

Ma Vie avec Liberace, l'un des événements américains de la "rentrée des auteurs"

Si elle n'est pas du goût de tous les distributeurs et tend à "diluer l'impact cannois" selon certains, la présentation des films dans d'autres festivals avant leur sortie à l'automne peut permettre un bouche-à-oreille fructueux. On apprenait récemment que Ma Vie avec Liberace de Steven Soderbergh ouvrirait le festival de Deauville le 30 août prochain, s'assurant ainsi un regain de médiatisation avant sa sortie française le 18 septembre, des mois après son passage à Cannes. Plus accessibles, les festivals de La Rochelle et Paris Cinéma offrent par exemple aux distributeurs de belles passerelles vers le public, comme un trait d'union entre un Cannes presque exclusivement réservé aux professionnels et la sortie nationale. Puis, à la rentrée, viennent les traditionnelles tournées d'avant-premières en Province. Pour La Source des Femmes, sorti début novembre 2011, Philippe Kaempf raconte que ces rencontres avec le public avaient débuté dès la fin de l'été et s'étaient étalées sur rien moins qu'une quarantaine de dates, en présence du réalisateur et de l'actrice principale Leïla Bekhti. « Les gens s'imprègnent des échos qu'ils reçoivent du film autour d'eux. Le film a eu beaucoup de succès à sa sortie, certainement grâce à ce bouche-à-oreille fructueux. »

L'alternative estivale

Sortir Le Congrès début juillet : un pari risqué ?

Si l'été est moins propice aux tournées d'avant-premières, les festivals qui ponctuent la saison aux quatre coins de la France (Champs Elysées Film Festival mi-juin, Paris Cinéma et La Rochelle début juillet, Arles fin juillet, etc.) peuvent servir de rampes de lancement pour des sorties de films cannois en juillet ou en août. Comme l'explique Gregory Gajos d'Ad Vitam, ces manifestations permettent de maintenir l'attrait des films dans le prolongement du Festival de Cannes. La saison est traditionnellement plutôt désertée par les films d'auteurs au profit des blockbusters, mais la tendance est au changement. Certains distributeurs y voient en effet une belle opportunité. C'est le cas de Michèle Halberstadt, qui a décidé de ne pas attendre plus que de raison après l'exposition cannoise du Congrès d'Ari Folman pour l'amener vers le public, le 3 juillet. « C'est un film jeune, stimulant. En tant que spectatrice, c'est ce que j'aime voir l'été », dit-elle. Les Films du Losange vont jusqu'à sortir leurs trois films cannois durant l'été : L'Inconnu du Lac le 12 juin, Grigris le 10 juillet et Michael Kohlhaas le 14 août. Régine Vial : « Cela fait au moins cinq ans que nous avons pris l'habitude de sortir durant l'été nos films passés par le Festival de Cannes. Ils acquièrent une notoriété grâce au festival et, d'autant plus lorsqu'il ne s'agit pas de films ayant reçu des prix majeurs, il faut amener cette notoriété sur le marché le plus vite possible. Pour Grigris, par exemple, nous avons avancé la sortie de fin août à début juillet. Le matériel était prêt, les exploitants l'ont vu à Cannes, l'agenda des sorties laissait de la place à ce moment : il fallait y aller, tout simplement. ». Pour autant, la saison ne se prête naturellement pas à une saturation semblable à celle d'octobre ou novembre. On préfère alors ne pas prendre le risque de surcharger certains créneaux déjà pris par d'autres. « On regarde toujours ce qui sort avant et après... », explique Grégory Gajos, qui a repoussé la sortie de Grand Central de fin juin à fin août. Mi-juin, où étaient déjà fixées les sorties de The Bling Ring et de L'Inconnu du Lac, puis début juillet, avec celles du Congrès et de Grigris, paraissaient prendre en étau un film sur lequel les distributeurs n'ont pas envie de se précipiter, préférant la fin août, juste avant la rentrée.

Melancholia : un succès estival du cinéma d'auteur que plusieurs distributeurs citent comme référence récente

Les sorties cet été de plusieurs films passés par Cannes (Les Salauds pour Wild Bunch, Les Apaches pour Pyramide ou Jeune et jolie pour Mars Distribution, en plus de ceux déjà cités) s'explique peut-être par certains avantages de la période, peu évidents au premier abord et néanmoins réels. Selon Régine Vial, l'été peut tout d'abord amener une manière originale et forte de montrer les films : « Melancholia, par exemple, a été montré en plein air au festival d'Arles ou encore à celui de Lama, en Haute-Corse. Ce sont de superbes moments de cinéma qui marquent les esprits des spectateurs qui y assistent. » Selon la responsable de la distribution aux Films du Losange, la belle saison ne nuit pas forcément à l'envie du public d'aller en salles, bien au contraire : « Particulièrement lorsque les films peuvent viser un public assez jeune et cinéphile, un sortie en juin, juillet ou août peut être porteuse : il fait beau, les gens sont dehors et ont souvent envie de sortir le soir, entre autres au cinéma. On s'en est rendu compte avec Melancholia, où les séances les plus pleines étaient celles de 21h ou 22h. » L'Inconnu du Lac, qui met en avant une certaine liberté sexuelle et dont l'action se situe elle-même l'été, appelait logiquement une sortie durant ces mois-ci selon sa distributrice. Il en va de même pour Les Apaches, chronique de la jeunesse corse, que Pyramide a voulu sortir mi-août pour correspondre à la période de l'année où se déroule l'intrigue.

La période estivale amène surtout son lot d'avantages financiers pour les distributeurs. Mme Vial souligne plusieurs conséquences du plus faible nombre de sorties cinématographiques durant cette période. Les films ont plus d'espace à tous les niveaux : l'affichage publicitaire en ville est moins cher, les bandes-annonces peuvent être davantage diffusées et surtout, les films eux-mêmes peuvent prétendre à un plus grand nombre de copies qu'à l'automne, où la concurrence est rude. En sortant le 14 août, Michael Kohlhaas d'Arnaud Des Pallières en bénéficiera de 120 environ. « Ce qui me fait peur en général, c'est de ne pas pouvoir être les premiers en termes de couverture du cinéma d'auteur par la presse, de ne pas avoir suffisamment de salles et surtout de ne pas pouvoir durer, de ne pas rester suffisamment de temps à l'affiche pour permettre au film d'exister. Avec une sortie mi-août, je ne suis pas en situation de demande vis-à-vis des exploitants, je suis en situation où je refuse des copies ! Michael Kohlhaas aura au moins trois semaines de bonne visibilité avant la rentrée. Quand vous sortez un film début novembre, les exploitants vous disent que vous avez une semaine pour que le film fasse ses preuves en termes d'entrées, sans quoi ils peuvent le retirer immédiatement de l'affiche. C'est aller au casse-pipe. »

Prendre son temps

Mud de Jeff Nichols, sorti en France près d'un an après son passage à Cannes

L'autre alternative à l'embouteillage de l'automne, c'est la sortie des films cannois l'année qui suit le festival. Il arrive que ce plan de distribution n'en soit pas vraiment un, mais réponde simplement à des contraintes imposées par les distributeurs des films dans leur pays d'origine. « Souvent, les Américains imposent d'être le premier territoire à sortir le film », explique Boris Pugnet du Pacte. La chose pourrait être liée, selon Emma Blunden de Diaphana, à une peur des producteurs étasuniens de piratages intempestifs si leurs films sortent à l'étranger avant les Etats-Unis et leur "échappent" donc, d'une certaine manière. Les sorties françaises d'Only Lovers left alive de Jim Jarmusch (pour Le Pacte), Nebraska d'Alexander Payne (pour Diaphana) et Fruitvale Station de Ryan Coogler (pour ARP Sélection) sont donc dépendantes de celles prévues aux Etats-Unis. Or, il se peut que celles-ci n'interviennent que tard dans l'automne afin de rapprocher les films de l'Awards Season (des nominations des Golden Globes à la cérémonie des Oscars) qui débute dès janvier chaque année. Pour Ad Vitam, le cas de Mud fut extrême, puisqu'il n'est sorti en France que le 1er mai 2013, soit près d'un an après sa première mondiale à Cannes. L'enjeu pour les Américains semble avoir été d'offrir au film de Jeff Nichols une toute nouvelle carrière après Cannes en le présentant dans d'autres festivals début 2013 : Sundance en janvier puis South by Southwest en mars, pour une sortie américaine fin avril. Signe que des schémas de distribution se perpétuent des deux côtés de l'Atlantique, c'était déjà le cas pour Take Shelter, le film précédent du cinéaste, dévoilé à Sundance 2011, acclamé et récompensé à Cannes, puis à Deauville, projeté dans pas moins de quatre autres petits festivals français à la rentrée avant de sortir finalement en salles début 2012 chez nous. Lorsque la sortie dans les salles françaises d'un film se fait près d'un an après sa première projection en festival, on s'étonne d'autant plus que le buzz qui a porté l'oeuvre est très bon. Les distributeurs concernés ne semblent pas s'inquiéter pour autant d'un affaiblissement de l'écho cannois du film sur la durée. Emma Blunden de Diaphana : « Le Prix d'interprétation remporté par Bruce Dern à Cannes pour Nebraska sera toujours mentionné sur les affiches du film ou n'importe quel support de communication et sera repris par la presse, peu importe le moment de la sortie du film. Nous ne sommes pas si tributaires de Cannes que cela. »

Enfance clandestine : un exemple de distribution tardive mais payante ?

Pour Gregory Gajos d'Ad Vitam, la recette est simple : plus l'attente est longue pour certains films, plus elle crée le délire. « Les très bons films comme ceux de Jeff Nichols ou A Touch of Sin de Jia Zhang-ke (Prix du scénario à Cannes et attendu pour le 1er janvier 2014) peuvent se permettre de sortir loin de Cannes. La curiosité du public ne retombe pas. Et puis, l'automne est tellement chargé que le film de Jia, qui dure 2h13, serait par exemple difficile à faire vivre. Une longue durée et un agenda des sorties chargé, ça entraîne une réduction du nombre de séances possibles dans une salle donnée, et ça veut donc dire que l'exposition du film est amoindrie. » Même remarque chez Pyramide Distribution concernant deux sorties tardives de films cannois : « En début d'année suivante, il y a généralement beaucoup plus de place dans l'agenda des sorties pour ces films d'auteurs. Si l'on avait sorti Elena en novembre, on aurait sûrement fait un tiers des entrées qu'on a faites en mars. » Roxane Arnold a même poussé à l'extrême la tournée des festivals et d'avant-premières déjà entreprise par les distributeurs qui sortent leur film à l'automne : « Avec Enfance clandestine, un film argentin présenté à la Quinzaine des Réalisateurs en 2012, on a pu faire tous les festivals de cinéma latino-américain qui existent en France avant la sortie nationale le 8 mai 2013. Le bouche-à-oreille à très bien marché et le film a réalisé un score plus qu'honorable au box-office, relativement à nos attentes. » En effet, cette "tournée des festivals" sur le long terme a toute son importance aux yeux de Gregory Gajos : « Hormis à Cannes, les films ne sont pas montrés qu'à des professionnels en festivals. Même à ce niveau, Cannes, ce n'est finalement qu'une poignée de projections, qui ne réunissent pas toujours le nombre d'exploitants à qui on voudrait montrer le film. Une circulation en Province sur plusieurs semaines est donc souvent nécessaire. Et puis, dans de plus petits festivals, il y a un vrai public de purs spectateurs à même ensuite de parler du film autour d'eux s'il leur a plu, de créer un bouche-à-oreille bénéfique autour du film. Tout cela est un travail de fond qui est très important pour nous. » Pour autant, la multiplication des projections dans des festivals petits et grands peut donner l'impression au public qui n'y a pas accès de n'être plus du tout "neutre" face au film au moment de sa sortie. On a parfois l'impression qu'un film a déjà été tellement vu avant sa sortie qu'il n'y a plus rien à en dire...

Encore faut-il que les films sortent. Il est en effet fréquent que des films présentés dans les sections parallèles ne trouvent pas le chemin des salles françaises. A titre d'exemple, seuls 13 des 21 films de la Quinzaine des Réalisateurs 2011 ont été distribués chez nous. Si une sélection en Compétition Officielle est généralement la garantie de trouver un distributeur français, les exceptions ne manquent pas. Présentés lors d'une édition 2010 jugée particulièrement faible, Chonqing Blues de Wang Xiaoshuai, Un garçon fragile de Kornel Mundruczo et Soleil Trompeur 2 de Nikita Mikhalkov ne sont jamais sortis en France.

Impact du palmarès

La Vie d'Adèle : une distribution de Palme d'Or typique

Et que se passe-t-il pour un distributeur quand son film est primé ? C'est beaucoup de joie, bien sûr, mais également une série de nouveaux paramètres à ajouter au casse-tête. Si, comme pour Le Passé cette année (Prix d'interprétation féminine pour Bérénice Bejo), le film est déjà à l'affiche, l'obtention d'un prix peut supposer au moins une nouvelle campagne d'affichage pour s'assurer que l'information circule bien parmi les spectateurs. Relancer la communication autour du film primé n'est pas une nécessité pour autant, selon Emma Blunden de Diaphana : « Lorsque Le Gamin au Vélo des Dardenne a remporté le Grand Prix en 2011, on aurait pu reprendre les affiches du film pour y ajouter la mention mais on ne l'a pas fait. Le film n'en avait pas vraiment besoin. » Les cas récents de Post Tenebras Lux, Prix de la mise en scène 2012 sorti en mai 2013, ou de A Touch of Sin, Prix du Scénario 2013 qui sortira le 1er janvier 2014, montrent que l'obtention d'un prix cannois n'a qu'un impact limité sur le choix de la date de sortie du film. Il semble néanmoins en aller autrement pour la Palme d'Or. Selon Philippe Kaempf, qui de Ciby Distribution à Europacorp en passant par ARP Sélection a distribué plus de 5 Palmes d'Or, « Il n'y a pas de saison privilégiée pour sortir une Palme ». Pour autant, depuis 1990, toutes sont sorties en France entre septembre et novembre à seulement quatre exceptions près : La Leçon de Piano, La Chambre du Fils et The Tree of Life étaient déjà à l'affiche lorsqu'ils ont été primés et Fahrenheit 9/11 est étonnamment sorti en juillet (avec un beau score de 2 millions d'entrées). L'automne et les mois d'octobre-novembre "porteurs" dont nous parlent les distributeurs se sont traditionnellement imposés comme le moment de montrer le film le plus hautement primé de l'année au public français.

Merci à Roxane Arnold de Pyramide Distribution, Emma Blunden de Diaphana, Michèle Halberstadt d'ARP Sélection, Anne-Cécile Rolland de Pretty Pictures, Régine Vial des Films du Losange, Gregory Gajos d'Ad Vitam, Philippe Kaempf d'Europacorp et Boris Pugnet du Pacte.

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25 commentaires
  • Sushi_Overdose
    commentaire modéré Hier au cours d'une soirée réunissant des blogueurs en tout genre, en abordant un peu le cinéma et Cannes, j'avais un son de cloche quasi unique :
    "J'aime pas les films de Cannes, c'est lent."
    "J'aime pas les Palme d'Or, sauf Pulp Fiction."
    (...)
    6 juin 2013 Voir la discussion...
  • zephsk
    commentaire modéré J'hésite à titrer entre "l'Art de la Guerre" ou "l'Art d'avoir toujours raison."
    Good Job @gustaveshaimi
    6 juin 2013 Voir la discussion...
  • tomsias
    commentaire modéré @Sushi_Overdose Des blogueurs en tous genres ? Vraiment ? Je sais bien que tu ne penses pas ça et que les quelques autres blogeurs de qualité qui existent ne le pensent pas non plus...
    6 juin 2013 Voir la discussion...
  • Sushi_Overdose
    commentaire modéré @tomsias : non de mon côté je ne le pense pas, et quand je dis en tout genre, j'aurais dû dire, de tout domaine - cinéma, mode, sport, ... Si je parlais de ça c'est juste parce que c'est un exemple auquel je venais d'être confronté, mais j'ai déjà eu des conversations similaires avec des personnes qui vont très régulièrement au cinéma, relativement ouverts d'esprits, mais qui montrent un désintérêt complet pour ce qui peut être primé à Cannes.
    7 juin 2013 Voir la discussion...
  • IMtheRookie
    commentaire modéré @Sushi_Overdose @tomsias très clairement, j'ai déjà fait passer des entretiens à des "passionnés de cinéma" qui n'avaient aucune idée de qui venait d'avoir la Palme. Bon, il ne savaient pas très bien non plus quels films étaient à l'affiche en ce moment... mais clairement le grand public s'intéresse assez peu aux prix et aux films du festival. C'est très rare d'ailleurs qu'un film sorte du lot comme cette année au point (je crois) d'éveiller un peu l'intérêt du public avant même le palmarès.

    Parfois je me dis qu'il y a presque plus d'accrédités au Festival que de gens qui s'y intéressent pour les films.
    7 juin 2013 Voir la discussion...
  • AlmostFamous
    commentaire modéré @gustaveshaimi Possible idée pour une nouvelle enquête de détective Shaïmi auprès des distributeurs : comprendre comment ils choisissent les titres des films étrangers qui sortent en France.
    De loin, ça paraît être du grand n'importe quoi (on remplace un titre en anglais par un autre, titre en français qui n'a rien à voir avec le titre original, etc).
    7 juin 2013 Voir la discussion...
  • cyril
    commentaire modéré @Irina Bonne idée d'article effectivement. Cela nous permettra aussi de dégainer quelques affiches québécoises pour loler un peu, avec leur manie de la francisation de TOUS les titres
    Ex : http://divertissemen...i-2?page=29#image=29
    7 juin 2013 Voir la discussion...
  • zephsk
    commentaire modéré Eh bien, il faut reconnaître un certain panache aux québécois.
    The Wrestler nous paraît plus pêchu parce qu'exotique, mais pour un britannique, ça n'est jamais que "Le Lutteur."
    7 juin 2013 Voir la discussion...
  • AlmostFamous
    commentaire modéré @cyril Avec ces québécois on ne sait jamais si il faut les considérer comme ridicules, attendrissants ou juste un peu tordus (The Hangover = Lendemain de Veille) (?).
    7 juin 2013 Voir la discussion...
  • Michel_XL
    commentaire modéré Très intéressant comme article, merci monsieur @gustaveshaimi.

    Sinon, quel impact sur le téléchargement illégal ? Entendre tout le monde (enfin les professionnels et les privilégiés l'ayant vu légalement) parler d'un film qui sort dans plusieurs mois, personnellement ça me donne envie de le télécharger tout de suite pour le voir.

    Quant à l'impact du palmarès, je ne suis pas sensible à ce piteux élitisme donc ça ne m'atteint pas plus que ça. Mais comme le "palmé" d'or est celui dont les médias parlent le plus, c'est ce film qui excite le plus ma curiosité.
    7 juin 2013 Voir la discussion...
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