Mona Heftre

Mona Heftre passe son enfance à Condat, à la campagne. Son père est jardinier et sa mère s'occupe de la famille nombreuse. A l'adolescence, Mona a déjà un caractère bien trempé, porte la minijupe, apprécie Jacques Dutronc, Léo Ferré, Led Zeppelin, Frank Zappa, les Rolling Stones, Boris Vian, Laurent Terzieff, les Shadocks, Hara-Kiri ou Charlie Hebdo. Contrairement à ses aînés, elle refuse d'entrer en apprentissage et décide de passer son baccalauréat.
Elle découvre le théâtre au lycée grâce à une surveillante, organise des soirées poétiques à la salle des pompiers et elle amène Mona à Bordeaux où voir jouer Samuel Beckett, Eugène Ionesco, Fernando Arrabal dans les cafés-théâtres.
En 1968, pendant le festival Sygma, elle est marquée par le spectacle déjanté de Robinson Crusöé par le Grand Magic Circus : des jolies filles qui dansent, chantent et s'amusent, un acteur passant nu au-dessus du public accroché à une liane, le tout accompagné par deux orchestres, un de chaque côté de la scène.
Elle passe son bac, obtient la bourse qu'elle avait demandée pour entrer à la fac mais, mais elle choisit finalement la vie d'artiste et part à Paris sans rien dire : elle ne reviendra que des années plus tard.
Elle gagne alors sa vie comme modèle, pin-up de calendriers et couvertures de romans-polars. Elle rencontre Marcelle et sa baraque de foire, qui engage Mona comme vedette pour un striptease sur le titre L.A. Woman des Doors et tourne durant tout un été avec les forains.
Colette Godard, alors journaliste, fait un petit portrait de Mona Heftre dans Elle. C'est Colette Godard qui lui fit rencontrer le directeur de cette troupe du Grand Magic Circus, Jérôme Savary, dans la roulotte de Mona. Celui-ci l'engage sur-le-champ pour jouer le rôle de sa fille dans un film qu'il vient d'écrire pour sa troupe avec Roland Topor, la Fille du garde-barrière : une dizaine de filles hilares se balancent à cheval sur un phallus géant en carton-pâte dessiné par Topor. Mona devient la concubine de Jérôme Savary pendant le tournage de ce film.
Elle joue ensuite Calamity Jane dans le film de Jacques Robiolles, et Mona Mour dans le film Change pas de main de Paul Vecchiali.
Mona Heftre rejoint alors le Grand Magic Circus, ses comédiens hétéroclites (un Brésilien, un Uruguayen, un Argentin, une Norvégienne, une Anglaise, une Ghanéenne et quelques Français), et les quelques musiciens de la troupe, tout ce petit monde vivant dans la vie de bohème une ambiance des plus décontractées. Mona va alors enchaîner les représentations avec la troupe du Magic Circus :

• Goodbye Mister Freud (1973) au théâtre de la Porte-Saint-Martin. Gotlib a écrit des chansons pour la pièce. Dracula, en funambule très élégant, sourire éclatant (les dents passées au fluo!), se balance, une bouteille de champagne à la main, sur un pont de lianes à trois mètres au-dessus du public en chantant un tango chaloupé.

• De Moïse à Mao, 5000 ans d'aventures et d'amour (1974), joué à Hambourg, sous la neige. La troupe court pieds nus autour du chapiteau pour faire les entrées et les changements au pas de course. Sur scène, il y a un brouillard épais dû à la condensation. Dans la brume, vision fantomatique de jeunes vierges (dont fait partie Mona) en robe de mariée traversant la salle en chantant dans la brume : "It's nearly fool moon, Oh I wish it will come soon". Guillermo Gallardo, le baryton argentin de la troupe, chante "Je suis un vampire middle class, tout le monde me trouve dégueulasse" (paroles de Topor) et vampirise les vierges l'une après l'autre, qui se jettent alors dans le public, mordant au cou les spectateurs. L'ambiance est à la hauteur des grands films d'épouvante...

• Les grands sentiments (1975). Jérôme Savary étant interdit bancaire, le spectacle est produit avec 10 000 francs déposés sur le compte en banque de Mona. Le couple vit alors à l'hôtel Parisiana, leur maison ayant été saisie pour régler les dettes du Magic Circus. Cela devient de plus en plus dur du côté financier, et sans subventions, il leur faut se passer d'une partie de la troupe et réduire l'orchestre.

Chaque soir après les répétitions, Jérôme écrit sur sa Remington les scènes du lendemain. On nous donne des costumes de l'ancien TNP. Mona y retrouve les chaussures de Maria Casarès et un pourpoint de Rodrigue de Michel Dussarat. Dans le train qui les conduit à Villeneuve-sur-Lot pour la première, Mona coud les dernières étoiles au rideau de scène, satin vert, étoiles oranges. ] accompagne et filme la troupe.
Au deuxième tableau, l'orchestre se déchaîne. Mona se déshabille comme une diablesse et descend entièrement nue dans la salle. Elle choisit un spectateur et l'amène sur scène où un lit les attend. Michel Dussarat déshabille alors un spectateur, puis disparaît avec ses vêtements. Mona le prend alors par la main et se couche avec lui dans le lit. Jérôme Savary, en Monsieur Loyal et magicien, les recouvre d'un drap en philosophant sur l'amour. Roulements de tambour ! Dans ce lit se trouvait un grand trou au fond duquel Mona disparait en un éclair et glisse un lapin dans les bras du spectateur. Jérôme Savary enlève le drap : "Mesdames, Messieurs !!! Elle lui a posé un lapin !!!" Le malheureux se retrouve tout nu dans la poursuite, tenant un lapin dans ses bras. Jérôme Savary le conduit alors par la main à l'avant-scène et le réconforte, continuant à philosopher sur les femmes et l'amour. C'était un de ces chauds-froids dont Jérôme Savary a le secret.
A Barcelone, la troupe doit jouer la pièce pour la censure franquiste : on ne doit voir aucun système pileux! Le soir, Mona colle sur son pubis un autocollant-tête de chat. Un soir de mistral au Théâtre de la Mer à Sète, l'unique toile peinte du spectacle s'envole et coule à pic.
La troupe a joué ce spectacle un peu partout et dans toutes les langues, rajoutant au fil des tournées des toiles peintes, des accessoires et des costumes, apprenant le texte dans les trains et les avions qui les menaient de villes en pays.
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• les Mélodies du Malheur, création à Venise. Toute la nuit, on cherche une fin au spectacle qui sera présenté en première mondiale le lendemain. A l'aube, épuisés sur le chemin de l'hôtel, nous croisons dans la brume des gens masqués. Vision surréaliste, c'est vrai, c'est le carnaval. Le lendemain, le spectacle n'en finit pas de finir... et tout se termine en musique, comme de bien entendu. Le public danse et est ravi.

A Rome, Fellini et Giulietta viennent nous voir. Après le spectacle, la trattoria du coin installe tous les soirs tables et chaises devant le chapiteau et tout le monde se retrouve tard dans la nuit. Un soir, Dario Fo se joint à nous. Nina dort dans la caravane, ma petite soeur Vely fait la baby-sitter. Elle vend aussi les programmes. Elle est ravissante dans son costume d'Alice au pays des merveilles.
Le Bourgeois Gentilhomme créé sous chapiteau place Jean-Jaurès à Paris. C'est la première fois que Jérôme monte un texte classique avec sa troupe. Elle met au service de Molière tout son savoir-faire de saltimbanque. Enorme succès, presse formidable. Un soir, la caissière affolée arrive dans la loge. Il n'y a plus une place à vendre mais le public menace de tout casser si on ne le laisse pas entrer. Nous jouerons donc les portes ouvertes, tous les soirs.
L'Histoire du Soldat à La Scala de Milan, je danse sur ce plateau de légende avec Nina, petit ange en robe d'organdi et bouclettes, elle a 4 ans. Sa soeur Manon danse dans mon ventre, elle naîtra un mois plus tard.
Après la naissance de notre deuxième fille, le rythme des tournées pour moi se ralentit. Jérôme dirige son premier centre dramatique à Montpellier, et de nombreux théâtres allemands lui offrent des mises en scène.
Bye Bye Show-Biz à Mogador est le dernier spectacle du Magic. L'histoire de comédiens se rencontrant à l'ANPE et cherchant, en vain, à monter ensemble un spectacle. De Moïse à Mao était une histoire d'une troupe de théâtre partie conquérir l'Amérique et bloquée au bord du désert du Nevada.
Après ces adieux de la troupe, j'ai poursuivi mon travail avec Jérôme, ponctuellement mais fidèlement.
Après l'aventure du Magic, Mona est encore l'interprète de très beaux rôles dans les spectacles de Jérôme Savary : elle est Titiana dans le Songe d'une nuit d'été, Petit Courage dans Mère Courage de Brecht à Chaillot avec une troupe franco-allemande, Fraulein Kost dans la comédie musicale Cabaret, Constance Bonnacieux dans D'Artagan avec Christophe Malavoy, Magdalena dans La Périchole d'Offenbach.
Elle a participé au magnifique Y'a d'la joie d'après le répertoire de Charles Trenet, et a joué la mère dans la version 2003 de Zazou auprès de Jérôme et de leur fille Nina.
Mona a créé deux mises en scène de Hans-Peter Cloos : Chambres de Philippe Myniana et Kabaret Karl Valentin avec Yann Collette. Elle est aussi une très belle Jenny des Lupanars dans l'Opéra de quat'sous mise en scène par Charles Tordjman.
En 1994, à l'occasion du centenaire du cinéma, Mona monte un récital de chansons de films à Chaillot : Noir et Blanc.
Elle enregistre un disque en 1997, Les Mille baisers. Mais son travail musical est marqué par sa rencontre avec le répertoire de Serge Rezvani. Mona interprète ses chansons au cours de multiples récitals : Sentier des Halles, Chaillot, Musée Calvet à Avignon pour France Culture, Opéra Comique, Cité de la Musique et en tournée. En 2000, un premier disque sort de cette collaboration, Tantôt Rouge tantôt bleu, chez Actes Sud (Grand prix de l'Académie Charles-Cros). Séduit par ces nouvelles interprétations, l'écrivain se remet à la composition pour la première fois depuis des années et offre à Mona des titres inédits. On peut les entendre sur l'album live Embrasse-Moi, sorti en 2005 chez Harmonia Mundi.