La tendresse de la pâte à modeler

Comment savoir : La force tranquille

Dossier | Par Cédric Bouchoucha | Le 21 février 2012 à 13h06

Revoir Comment Savoir est une étrange expérience. On tente de décortiquer la machine Brooks, de comprendre ce qui nous touche, ce qui nous fait rire, ce qui fait qu'un personnage revêt à nos yeux une profondeur réelle, presque palpable. Vainement. Le classicisme de Brooks agit une fois de plus sur nous, sur une histoire traitée pourtant mille fois au cinéma.

Lisa, incarnée par Reese Whitherspoon, doit choisir entre deux hommes : le premier est un sportif (Owen Wilson), tout comme elle, grand séducteur mais un peu limité ; le second est un homme d'affaires (Paul Rudd) qui voit s'accumuler en quelques heures les catastrophes les plus injustes : il est accusé à la place de son père (Jack Nicholson) de détournement de fonds, traîné en justice et largué par sa copine. Le dilemme entre le coeur et la raison est une situation de départ banale, attendue, déjà vue. La force de Brooks est de se démarquer par quelques subtilités, ces touches légères qui construisent la singularité de son oeuvre, et la rendent si précieuse.

Un exemple : l'apparition du titre, dès l'ouverture du film. Un jeune garçon, en tenue de joueur de base-ball, tente désespérément de frapper la balle avec sa batte, sous l'oeil d'une petite fille. Deux plans enferment l'absurdité de la répétition d'un geste qui n'est pas concluant. Un gros plan, sur le visage dépité du garçon, et un plan moyen qui nous montre l'action. L'enfant sort du cadre. Un nouveau plan semble ouvrir de nouveaux horizons à la scène, mais aussi au destin du personnage principal. C'est une main, bien plus petite que la balle, qui bouscule l'ordre établi. C'est par ce geste, d'essai, de tentative hasardeuse, que la vie de cette fillette va changer et que la musique apparaît. Tee-shirt rose, Converse noires, la petite fille saisit la batte et réussit à envoyer la balle du premier coup. Brooks filme l'impossible, la preuve par l'image que le base-ball n'est pas réservé aux garçons. How do you know. Comment savoir, en effet, si l'évidence deviendra concrète ? C'est la question qui hante le film : pourquoi une femme choisirait un homme tourmenté (George), trahi par son père, mêlé à une histoire louche, alors qu'un beau blond (Matty) lui propose de vivre chez lui ?

Les subtilités sont nombreuses (on ne citera, pour le plaisir, que le cadrage malicieux de Brooks de l'enseigne d'un hôtel, qui affiche « Owen Building » lors des ébats amoureux entre Matty et Lisa), mais elles ne peuvent à elles seules garantir l'exceptionnel bonheur procuré au spectateur à l'issue du film, semblable à celui de La vie est belle de Capra. Il faut un personnage décalé, sensiblement différent des autres.

Ce personnage, c'est bien évidemment Lisa. Héritière de Katharine Hepburn (mélange entre la Susan Vance de L'Impossible Monsieur Bébé et la Tracy Lord d'Indiscrétions), Reese Witherspoon insuffle une étonnante réactivité à Lisa. Voyez les expressions de son visage lorsqu'elle rencontre George pour la première fois. Un dialogue convenu au départ, vite remplacé selon le souhait de Lisa par un long silence. Brooks transforme alors un simple jeu de regards en une scène d'une rare intensité, où la réussite de la journée de George trouve sa source dans les yeux virevoltants de celle qu'il regarde, dans un sourire gêné que l'on se renvoie par politesse.

Toutes ces touches, légères et solides à la fois, confèrent à James L. Brooks une force tranquille, celle de l'horloger sûr de sa maîtrise sans qu'il ait besoin de la démontrer. Cette modestie esthétique, qui peut s'apparenter à un classicisme, explique peut-être le désamour entre le public, une partie de la critique et ses derniers films. Cinéaste rare, James L. Brooks a entre autres réalisé Tendres Passions en 1983, Pour le pire et pour le meilleur en 1997 et Spanglish en 2004. Ce Jeudi 23 Février sera l'occasion de découvrir un immense film au Studio des Ursulines, et de débattre de la place que mérite le cinéaste. Au sortir de la projection, et, si toutefois vous n'avez pas de réponse à cette question, posez-vous en une seule : dans quel autre film peut-on voir un personnage nous attendrir à ce point grâce à un pot de pâte à modeler ?

Lire notre portrait de James L. Brooks

Images : © Sony Pictures Releasing France

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