De Bruce Lee à Paul Walker, en passant par Louis De Funès

Film cherche acteur mort (si possible populaire ou qui conduit vite)

Dossier | Par Chris Beney | Le 1 avril 2015 à 15h51

Fin novembre 2013, alors que le tournage de Fast & Furious 7 n’en était qu’à mi-parcours, Paul Walker mourait dans un accident de voiture. Un an et demi plus tard, le film est dans les salles, prouvant une nouvelle fois que même le décès de l’un de ses acteurs principaux n’empêche pas une production d'arriver à son terme, pourvu qu’on y mette les moyens techniques. Et dans ce domaine, le cinéma a fait de tels progrès que les comédiens ont du souci à se faire. Même ceux qui sont six pieds sous terre depuis longtemps, comme Louis de Funès.

Comment a-t-on pu terminer Fast & Furious 7 sans Paul Walker ? Le studio Universal, son producteur, ne communique pas plus que de raison à ce sujet, mais selon les sources du Hollywood Reporter, le film aurait disposé de solutions inédites pour pallier l’absence de sa vedette. On aurait sorti du chutier des images de Paul Walker qui ne devaient pas figurer dans le montage final ; on aurait sollicité davantage ses doublures – ses deux frères, Cody et Caleb – pour les plans d’ensemble ou de dos ; on aurait incrusté des petites choses venues d’autres films de Walker ; etc.

Voilà pour l’ancienne méthode. La nouvelle serait venue de Weta Digital, la boîte d’effets spéciaux créée par Peter Jackson, celle qui compte parmi ses hauts faits d’armes la transformation d’Andy Serkis en Gollum. Weta a fait ce qu’elle savait faire : non pas créer Gollum à partir de Serkis, mais recréer Paul Walker à partir de Paul Walker, le doter d’un 3ème frère, un jumeau numérique. Quand Peter Parker devient Spider-Man ou que Harry Potter joue au Quidditch, Tobey Maguire et Daniel Radcliffe sont remplacés par une doublure animée par ordinateur, capable de réaliser à leur place ce qui défie la gravité. Là, c'est la mort qu'il s'agit de défier en prolongeant l'existence de l'acteur par le clonage de son image. Universal reste discret à ce sujet. Peut-être qu'il n'y a en fait rien à cacher, que la vérité est nettement plus triviale, loin de cette magie noire électronique qui nourrit nos fantasmes, mais il n’empêche : l’abîme ouvert par cette hypothèse, très vraisemblable, est comparable à celui montré par Le Congrès.

Robin Wright, plus forte que Michel Blanc

Que voyons-nous dans ce film d’Ari Folman, réalisateur de Valse avec Bashir ? Robin Wright, dans son propre rôle d’actrice, accepter son ultime contrat : faire l’objet d’un scan complet de son corps, de ses expressions, de ses émotions, afin de créer un avatar à son image qui interprétera tous ses futurs rôles à sa place. Pour cela, elle entre dans un studio équipé d'une myriade de caméras chargées de l'enregistrer sous toutes les coutures, à mesure qu'elle joue la joie, la tristesse et autres émotions.

Soit une performance capture ultra-perfectionnée, non pour créer un personnage, mais pour créer un acteur destiné à composer différents rôles, en fonction des besoins. On ne filme plus les comédiens, on joue à la poupée. Dans Grosse fatigue, Michel Blanc accepte de se faire remplacer par son sosie sur quelques tournages, le temps de profiter de longues vacances et de se rendre finalement compte qu’il a fait une grosse connerie en cédant son image, même provisoirement. Dans Darkman, le héros de Sam Raimi se montre capable de prendre la place de n’importe lequel de ses adversaires en reproduisant mains et visages, pour les revêtir ensuite comme des gants ou des masques. Avec Le Congrès et Fast & Furious 7, c’est encore plus fort : l’acteur est dépouillé de son corps et ce dernier peut lui survivre, interpréter des rôles et jouer éternellement dans des films ou des publicités qu’il n’aura pas choisis de tourner. S’ils ressuscitaient, Marilyn Monroe et Steve McQueen seraient, par exemple, les premiers surpris à se voir jouer dans des spots pour un parfum ou une montre du 21ème siècle… Pas fou, Robin Williams a d'ailleurs stipulé dans ses dernières volontés que son image ne soit pas exploitée à des fins publicitaires pendant les 25 années suivant sa mort. 

Des performances qui viennent bien après la mort de leurs interprètes, ça existe depuis longtemps : Sir Laurence Olivier se retrouve projeté sous forme d’hologramme devant Jude Law dans Capitaine Sky et le monde de demain (ironie suprême, le personnage qu’il joue, à son corps défendant, est mort depuis des décennies) ; Marlon Brando s’adresse à Kevin Spacey dans Superman Returns, avec un monologue qu’il n’a jamais enregistré de son vivant (encore une fois, caster un mort pour jouer un mort, c'est beau et effrayant) ; le personnage d’Oliver Reed meurt sous des coups de couteau dans Gladiator, alors que l’acteur était décédé auparavant d’une crise cardiaque (un scan de son visage a été plaqué sur une doublure pour finir certains plans) ; Brandon Lee termine The Crow grâce à une réécriture de scénario et à des plans de dos de sa doublure, alors qu’il meurt sur le plateau, abattu par une balle à cause d’une erreur de manipulation ; etc. Tout ça, c’était de l’artisanat, mais déjà plus sophistiqué – heureusement – que le monument du genre, en matière de films avec une star morte : Le Jeu de la mort.

Postiches et collages pour faire vivre Bruce Lee

Quand Bruce Lee meurt durant le tournage de ce qui sera son dernier film, une seule séquence a été tournée – mais quelle séquence ! : son combat, en combinaison jaune, contre l’immense basketteur Kareem Abdul-Jabbar. Impossible d’utiliser ce morceau d’anthologie s’il n’y a rien pour l’enrober. Alors les scénaristes et les producteurs du Jeu de la mort se mettent à pied d’œuvre et ont une idée diabolique: Le Jeu de la mort va raconter l’histoire d’un acteur menacé par la mafia, qui fait croire à sa mort après un accident de tournage, et qui va passer son temps à avancer masqué, un casque de moto sur la tête, le col de son manteau remonté jusqu’aux oreilles, etc. Résultat : pour certaines scènes, on fait appel à un acteur dont la ressemblance avec Bruce Lee est plus que lointaine et on trouve à chaque scène un prétexte pour lui mettre sur la tête tout ce qui est possible et imaginable.

Vous vous souvenez de ce moment dans Ed Wood, quand Johnny Depp remplace Bela Lugosi par le chiropracteur de son épouse – son sosie, mais seulement pour le haut du crâne – en lui demandant de remonter sa cape de manière à cacher le bas de son visage ? Même chose ici, en pire : on distille ici et là des plans de Bruce Lee piqués à ses films précédents, on colle sur un miroir une photo de Bruce Lee à la place du reflet de sa doublure (l'effet est dingue : la doublure bouge, mais son reflet dans la glace est une photo) et, cerise sur le crâne, on filme les véritables funérailles de la star pour les incorporer au film. La dépouille du héros, gisant dans son cercueil, que vous voyez dans Le Jeu de la mort, est bien celle de Bruce Lee.

Louis De Funès, voix d'outre-tombe

Depuis Bruce Lee, l’évolution a suivi sa progression. Le travail ne demande qu’à être fignolé et à aller plus loin. Au générique de Pourquoi j’ai pas mangé mon père, film tout en performance capture de et avec Jamel Debbouze, figure ainsi l’acteur préféré des Français, mort il y a trente ans : Louis de Funès. Pour cela, Debbouze a pu compter sur un logiciel développé pour son film par l’IRCAM (Institut de Recherche et Coordination Acoustique/Musique) afin de « récupérer dans les archives le plus de phonèmes possibles pour recréer la voix de De Funès ». Paul Walker, lui, pourrait très bien devenir la déclinaison belle et humaine de Gollum ou de César dans La Planète des singes, une entité à laquelle Andy Serkis prêterait ses mouvements pour Fast & Furious 8. En attendant, scrutez la fiche Vodkaster de Louis de Funès pour constater que ce gros feignant n'a rien tourné entre 1982 et 2015 et se rendre compte d'une chose : nous sommes définitivement entrés dans l’ère où le décès d’un acteur n’est qu’une pause au milieu de sa filmographie, et non plus un point final.

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